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Déboires écarlates

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Déboires écarlates Empty Déboires écarlates

Message par Invité Ven 30 Déc - 16:39

Les fragments distillés de la terre s'assombrissaient. L’émeraude inquiétante du ciel se réfléchissaient dans les eaux du lac nimbant celui-ci d'une intense lumière glauque. Autours, de la vase. Elle enclavait pieusement l'étendu aqueuse éclairée par l'astre septentrional qui semblait figer la vie de ces lieux. Les remous de l'eau, l'ombre des pins, la décomposition des cadavres. Un œil fixait des silhouettes dégingandées grouillant sur l’îlot greffé aux surfaces cristallines. La progression était difficile. Ses bottes s'alourdissait à chaque pas, une odeur putride se mêlait à l'humidité et menaçait de faire s'évanouir Salviati. Il était affamé. Cela faisait plusieurs semaines qu'il ne se nourrissait plus que de fromage desséché, arrosé de vin aussi visqueux que le terrain qu'il parcourait. Hélas, ces mets l'avaient quitté.

Bien qu'il n’eut pas de pain pour centraliser son alimentation, son corps parvenait à endurer les assauts compactes du lait coagulé. Sa mâchoire était, néanmoins, usée par les efforts consacrés à la mastication élaborée qui dévorait l'entièreté de ses veillés. La bouilli de raisin qui l'hydratait n'avait même pas le mérite d'ébranler la solidité de la tomme, lui donnant, par la même, un goût qui se passe volontiers d'analogies.
Morne était ses repas et fade était son plaisir. Il lui arrivait de songer aux festins de son enfance, aux marmites de viandes en ébullition préparées à l'occasion des jours saints. Cette image s'insinuait régulièrement dans ses rêveries. Il lui arriva de la saisir. Brièvement. Il ne pouvait pas définir s'il s'agissait de nostalgie ou d'un regret. Il était libre à présent. Mais, il demeurait fils de seigneur en dépit de tout ses efforts pour le dissimuler, y comprit à lui-même. Cette fatalité martelait ses pensées.

Longeant la rive, ses pas s'enfonçaient dans le bourbier périphérique, il avançait. Quelque chose bourdonnait au loin. Un écho qui rompait le silence du lac. Salviati avait lu des choses à propos d'esprits élémentaires, de fées qui enchantaient de leur présence certains domaines. Il se les était de nombreuses fois figurer, leur aspects variant selon ses envies. Par ailleurs, un trait revenait souvent. Les êtres qu'il imaginait étaient essentiellement d'apparence féminine et majoritairement coiffés d'une longue chevelure d'obsidienne.
La voix s'intensifiait, s’aggravait. Salviati décida d'avancer à pas feutrés vers les projections sonores. Cela ressemblait à un chant. Une musique semblait l'accompagner. En se rapprochant, il distingua un bruit de ruissellement. Une silhouette assez large commença à émerger de derrière les arbres. La voix était masculine et discordante. Toujours discrètement, il se glissa entre deux troncs rabougris se situant à une demi-douzaine de pieds de l'émetteur. Cet emplacement lui permit de contempler globalement la scène.

Un homme assez trapu se tenait face au lac. Son dot occultait ses membres supérieurs qui se prolongeaient hypothétiquement en direction de sa pense. Les deux sons semblaient provenir de l'individu, le chant comme ruisseau. En tapinois, le jeune homme pouvait écouter les paroles prononcées par le timbre rauque et délirant du semi-colosse.

Je suis le petit gars
Qui se flatte, n'est-ce pas ?
D'être invisiiiible


L'homme émit un mouvement de recul et sifflota sur le même air frivole. Quelque chose gisait à ses pieds. Une sorte de chiffon blanchâtre entortillé et sale.
Emporté par une curiosité et un élan de bravoure démentiel, Salviati rampa jusqu'au morceau de linge dans l'espoir certain de le subtiliser. L'homme ne se retourna pas, il était comme pris d'une frénésie poétique et prononçait des paroles incohérentes, aussi bien sémantiquement que phonétiquement, probablement improvisées.

Le chapardeur parvint à extirper l'objet et l'amena dans un endroit plus tranquille. Quand il le secoua pour le déplier, quelque chose tomba doucement sur le sol. Il le ramassa. Il s'agissait d'une lettre, non scellée, si ce n'est par la rose rouge dont les épines joignaient et fixaient les plis. Animé par sa soif de savoir, le jeune homme défi cette agrafe rudimentaire et lu, avec une intention particulière, la seule et unique phrase que contenait le mot.

« Ne m'oublie pas. Ne m'oublie pas, Ne m'oublie pas... »

Au-delà du style minimaliste de l'injonction, l'écriture était soignée et limpide. Un des bouts inférieurs du parchemin avait été déchiré. Salviati, se pencha vers le chiffon qui, après un examen savamment mené, s’avéra être un tabard frappé d'une flamme d'un rouge qui tirait vers le rose. Un morceau de parchemin, sous doutes celui manquant à la lettre, avait été cousu dans le tissu. On pouvait y déchiffré un nom.
Eugène Royce

Salviati, régénéré par on ne sait quel espoir, esquissa un sourire...


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Message par Invité Ven 30 Déc - 16:43

Il fut accueillit par un couple de guerriers revêtus d'une plate lourde uniformément colorée. Ils se tenaient là, immobiles, comme incrustés dans la structure de l'édifice qui dominait les clairières avoisinantes. Des bannières sales flottaient aux extrémités de l'immense bâtisse, la plupart étaient déchirées, d'autres brûlées, certaines consentaient à quelques touches de moisissures sur leur tissu. Salviati reconnu les armoiries de l'ancien royaume de Lordaeron.

C'est sur le parvis qu'il fut arrêté. Les gardes, bien qu'ayant identifié leur héraldique sur son tabard, le saisirent sans rien exprimer. Ne pouvant lutter contre cette attraction il fut conduit dans une pièce minuscule située en haut des nombreuses marches qu'il venait de gravir malgré lui. Les automates d'acier l'y enfermèrent. Ainsi cloîtré, sa volonté fut comme happée  par l'obscurité de la pièce, il se sentait oppressé, l'endroit était effectivement terriblement étroit, il ne comprenait pas, il sentait encore la pression qu'avaient exercée, sur ses frêles membres, les puissantes poignes de ces avatars du silence.

Il demeura dans le noir pendant un temps qu'il endura comme une éternité, puis la porte s'ouvrit. Une faible lueur commença à asticoter sa vision, ses yeux s'étaient vite accoutumés aux ombres. Une voix rauque retentit et la porte se referma dans un légers fracas. Un visage émergea par les rayons de la bougie utilisée. Âgé, abrupte, grossièrement taillé, il affichait une certaine résolution ainsi qu'une fermeté sévère qui ne laissera jamais de place au doutes. Sa mâchoire se contracta :
- Bon retour parmi nous, prononça l'homme avec une lassitude inavouée.
- Un retour ? S'enquit timidement Salviati toujours dans l'aboulie de son séjours sans lumière.
- Oui, je reconnaîtrais cette teinte impie entre mille.
- Comment ? Quelle teinte ?
- Eugène, nous vous avions prévenu que si vous quittiez le monastère vous seriez châtié. Êtes-vous revenu pour éprouver la vérité de nos serments ?
- Vous devez faire erreur, je ne suis pas... à peine eut-il le temps d'entamer sa justification que l'homme l’interrompit d'un ton haut, puissant et solennel.
- Vous avez failli aux préceptes de lumière, parjure ! Dois-je vous les rappeler ? Respect, Ténacité, Compassion ! Vous avez succombé à la tentation, vous avez fuit et abandonné notre cause. Cependant, vous nous avez jadis révéler votre pureté, en cela nous pouvons vous dispenser de l'immolation, nous savons que vous n'êtes pas un agent du Fléau, du moins pas encore... Nous allons le garantir. On vous attend.

Après ces mots la porte se rouvrit et plusieurs individus encapuchonnés s’engouffrèrent dans la cavité. Deux d'entre eux s'emparèrent de Salviati dans un élan de violence insoupçonné par ce dernier. Ils lui bandèrent les yeux et le traînèrent vers l’extérieur. L'air devenait plus doux, quelque chose de délicat et tranquille pouvait s'y percevoir. Un calme effroyable. Il entendait quelques murmures autours de lui. Son corps cessa d'être emporté. Quelque chose s’enlaça autours de ses poignets et serra fort. On lui dévoila la scène. Une foule d'individus, tous revêtus du même tabard frappé d'une flamme rouge, communiaient autours de lui. Deux hommes, encore, se tenaient devant lui, L'un était massif et torse nu, l'autre voûté affichait un sourire vicieux. Ils s'écartèrent en laissant ainsi place à la même personne qui lui tenait tantôt la chandelle.

"Voilà l'homme ! s'écria ce dernier. L'infidèle ne sera de nouveau digne de porter notre insigne que lorsqu'il aura respecté son châtiment. Cependant, n'oubliez pas que, tel est le sort réservé aux lâches qui se repentent, son retour en a témoigné. Le voilà à présent uniquement vêtu de son humilité. Que sa foi le préserve des souffrances de l'impie et lui procure joie dans son tourment.
- Procédez à l’exécution ! aboya le colosse d'une voix incroyablement puissante."

A ce moment, Salviati s’aperçut qu'il n'avait pour pudeur qu'un linge d'un blanc immaculé qui recouvrait l'intégralité de son intimité. Son corps se sépara du sol. C'est là qu'il senti le premier coup. Puis le deuxième. le troisième... ces hurlements déchirèrent le voile de quiétude qui recouvrait les lieux. Une prière fut dite et les membres de l'assemblée se disloquèrent.

Il ressentait un froid terrible, le silence avait regagné sa demeure et le noir faisait étalage de son infinie. Soudain, il entendu quelque chose, l'écoulement violent d'un liquide. Un horizon écarlate se révéla. Il avança vers ce lointain, lentement. Ses jambes étaient plus courtes tout comme ses doigts. Il était enfant. En voyant cela, il se mit à courir, le plus vite qu'il pouvait et à cette allure il atteignit le bout de ce monde. Un mur, où s'écoulaient des flots de sang se dressait, immense, devant lui. Une silhouette l'attendait. Attiré par elle, il s'approcha un peu plus de la fin. Il ne parvenait pas à distinguer ce qu'elle était mais elle se confondait avec le firmament maintenant si proche. Plus il progressait, plus  sa vision s'empourprait. Une femme se tenait là, immobile, entièrement recouverte de rouge, seul ses cheveux étaient discernables, seulement, ils semblaient fluctuer, ils n'avaient pas de forme fixe. Arrivé à sa hauteur, elle lui pris sa main et ils franchirent le mur...

Une chaleur étrange le réveilla. Il ouvrit les yeux. Il était recouvert d'une épaisse couverture, une bougie entamait son déclin sur une table à coté de sa couche. Il pencha la tête pour mieux comprendre ce qui lui arrivait. Une voix le réprima, douce, tendre et légère :
" Doucement, je n'ai pas encore fini. Vous devez me laisser finir cette prière, elle est essentielle à ceux qui viennent d'endurer le supplice de l'éternel retour."

En levant son regard, Salviati découvrit une chevelure d'un blond éblouissant auréolant un visage qui lui demeurait voilé. La main blanche posée sur sa joue lui offrait un sentiment de bien-être qu'il n'avait jamais connu jusque là. Elle se retira. La voix mélodieuse reprit :
" Voilà qui devrait suffire, dit-elle en soupirant, pourquoi fallait-il qu'ils vous fassent subir cela ?"

La vérité éclata. Un visage angélique se montra à lui.


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Message par Invité Ven 30 Déc - 16:51

Un relent de culpabilité accompagnait ses gestes. Ses plaies avaient à peine cicatrisé qu'il trempait déjà une lame dans la chair molle d'un corps humilié. Les cris progressivement murent en gémissements puis en plaintes muettes concordant avec l'attitude des tortionnaires accomplissant leur devoir dans un silence cérémonial. Au fil des heures la tache devenait pénible, les mouvements itérés commençaient à perdre de leur sens, les fluides corporels rendaient les mains poisseuses et maladroite, la chaleur de la chambre écrasait les derniers efforts de zèle. L'homme voûté déclara que c'en était assez et ils se dirigèrent vers le cimetière pour évacuer les derniers morts. On avait empiler le reste dans l'ombre de l'arrière-cour. Ils se dispersèrent une fois le tas embrasé. Salviati se dirigea vers un puits, à quelques mètres de l'incendie. Il rempli le seau en comptant utiliser l'eau pour se laver des marques de ses offices. A sa grand surprise celle-ci était pure, il en scruta la surface.

Des profondeurs inimaginables que recèle un lit de plume parvinrent les échos de paroles engluées.
Il avait connu bien des sortes de réveils mais, celui-ci, il n'aurait jamais pu l'appréhender. Assise sur une chaise en bois, une femme orientait les perles azurs de sa vue vers le jeune homme à la conscience ressuscitée. Peu de mots dépassèrent ses lèvres, parler lui faisait mal mais il émit quand même un son :
" Où...
- Loin de vos tourments, en sécurité auprès de la lumière, interrompit la jeune femme. On m'a chargé de vous ramener parmi nous, maintenant que la souillure a été purgée selon eux. Ah ! Sont-ils donc aveugles ? Aucune trace de putréfaction ni la moindre aura magique. Juste de nombreuses marques... en plus des blessures qu'ils vous ont infligées.
- Je dois...
- Rester ici ! Vous êtes sous ma protection maintenant. Je n'ai beau être qu'initiée c'est à moi qu'est revenue la tâche de vous soigner. Croyez-moi, cela est préférable.
- Mais vous ne comprenez pas, je ne suis pas un...
- Qu'importe qui vous étiez, la lumière vous a recueilli. Ne la fuyez pas, à nouveau."

La porte de la cellule s'ouvrit, ses sens se ternirent et le songe disparut.

Les effluves cadavériques animèrent Salviati. Il était à présent seul à proximité du charnier. Avançant vers lui d'un pas chancelant, il huma les vapeurs nauséabondes qui se faisaient de plus en plus intenses. Ne pouvant supporter cela davantage il déchira un lambeau de ce qui maintenant était officiellement son tabard et se l'enfila autours du visage. Ainsi paré, il contempla l'amas de corps se consumer dans l'ardeur d'une passion spirituelle.

 «Chaque vie est sacrée. Notre devoir n'est pas seulement de rendre la justice sur ces terres mais de rendre la nature. De faire que les choses puissent naître de nouveau. Le fléau n'est pas seulement l'ennemi contre lequel nous nous battons, il est aussi l'incarnation d'une tentation que nous pouvons tous éprouver : celle de sacrifier le monde à notre propre conservation. C'est à quoi l'impie cède, il rompt le lien qui l'uni aux autres et à l'univers. Il s'isole et oublie de par cette action sa solitude, il se lie avec la mort et finit par devenir indifférent à lui-même car sans notre connexion nous n'existons plus. Nous ne sommes qu'un objet errant à la surface du monde, sans pouvoir et sans âme. »

Ainsi parla l'abbé supérieur, une homme que le temps n'a pas épargné. Il était cependant encore capable de tenir sur ses jambes frêles le temps d'un court sermon. La ferveur qu'il mettait dans ses discours paraissait démentir l’aspect sous lequel il se présentait, bien que rarement, à l'assemblée. Cette fois-ci il avait parlé pendant pas plus de quelques minutes, au milieu de l'un cloître les plus à l'écart du monastère, dans un jardin où quelques roses s'élevaient difficilement. Salviati avait entendu le vieil homme. Il avait été guidé par les mots de celle qui lui faisait don de sa foi en tentant de lui enseigner les préceptes de la lumière. Seulement, cet office qui avait pour mission de lui ouvrir les portes de la piété avait été occulté par une aspiration tout à fait autre. Il n'avait cessé de regarder la jeune femme qui l'avait, avant de l'amener ici, soigné, nourri, qui avait probablement lavé son corps et veillé sur celui-ci pendant on ne sait combien de temps. Il avait vu ses yeux contempler leur origines célestes alors que le vieillard s’exaltait dans un prose démentielle. Il avait remarqué ses mains blanches s’enlacer elles-même et se tordre à chaque renversement de tonalité de la voix dominante. Quand la tension avait atteint son point culminant, elle retenait son souffle et ses lèvres laissèrent échapper une fréquence salvatrice de murmures au déclin de celle-ci.

Quand tout redevint silencieux, l'initiée se retourna vers son observateur et inclina la tête vers une direction que tout le monde suivait. La cour s'était effectivement vidée, le vieil orateur tardait bien à regagner sa loge située volontairement à proximité du lieu que les deux jeunes gens occupaient. Salviati était immobile, quelque chose semblait le retenir. Sa préceptrice le remarqua et, toujours inquiète de son état, s’approcha et lui saisit délicatement le bras.

" Eugène ? Vous êtes là ? Qu'as-tu pensé des psaumes récités par notre père?"
Surpris aussi bien par la question que par le contact de la jeune femme, Salviati ne su rien formuler de cohérent.
" Vous êtes certain que tout va bien, mon frère? Repris l’initiée.
- Oui... Je me demandais simplement où était ma place dans tout cela.
- Toute naissance est une mise au monde. Nous sommes tous à l’intérieur de celui-ci.Votre place vous la trouverez, ce n'est qu'un question de temps, elle s'imposera elle-même à vous. Un jour, vous vous lèverez et tout vous semblera claire, ayez confiance, si vous êtes ici ce n'est pas un hasard.
- Comment en êtes-vous sure ? L'avez-vous vécu ?
- Eh oui, et voyez-vous je suis encore vivante ! elle émit un petit rire enjouée. N'ayez crainte, quand la lumière vient à vous il n'y a nul doute qui saurait vous entraver. Vous m'avez déjà rencontré, cela nous uni nous, mais aussi le reste du monde. Nous sommes ainsi les artisants du bonheur d'autrui et du notre en même temps, les deux ne sauraient être divisibles.
- C'est pour cela que vous m'avez aidé ? s'enquit Salviati.
- Non, ce n'est pas pour cela. C'est en cela . De plus vous êtes encore loin de pouvoir me refuser, votre formation ne fait que commencer.
- M'auriez-vous aider si j'avais été un autre ? insista t-il.
- Je ne vois pas ce que cela change. Votre question ne se pose pas, à vrai dire, dit-elle d'une voix posée.
- Vous auriez donc soigner n'importe quoi.
- N'avez vous donc rien écouté à ce notre père vient de nous dire ? Il n'est pas de mon ressort de juger ce qui doit être sauvé ou non. C'est en chacun de nous que s'effectue ce choix. Si vous n'aviez pas eu le moindre respect pour la vie, je n'aurais simplement pas pu vous soigner. Libre à nous de rompre le lien ou de le renforcer, c'est en cela que consiste le vertige de la foi. C'est aussi pour cela que la lumière peut aussi bien guérir que châtier.
Le regard que l'initiée portait au jeune homme était empli d'une émotion abondante, son expression variant de l'indignation à la tendresse. Constatant cette colère généreuse, Salviati fit fuir son regard vers les formes éprouvées de la féminité qui le tenait. Il prononça avec une insolente hésitation :
- Qu'advient-il si l'on commet un acte qui ne... que se passe t-il s'il on tue ?
- Rassurez-vous on peut tuer ce qui est déjà mort. L'impie n'est plus de ce monde.
- Non, je voulais dire... nos semblables.
- En ce cas, puisse la lumière vous pardonner, mais n'ayez crainte cela ne se saurait arriver tant que vous me suivrez et que ma voix vous guidera."

Son masque improvisé ne pouvait plus retenir les fragrances putrides des restes brûlés. L'assemblée de chair s'était de nouveau dissoute, le feu avait finit par s'éteindre. L'absence absolue, le vide que représentait ce lieu et le silence qui reprenait ses droits, cela fit se retourner Salviati qui se redirigeait vers la chambre pour « faire son devoir ».


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Message par Invité Ven 30 Déc - 17:00

« A quoi bon ? A quoi bon s'acharner à secourir l'autre alors que l'ingratitude est le mot d'ordre ici-bas ? A quoi bon soutenir quelqu'un qui ne le mérite pas et va pour un simple caprice vous entraîner avec lui dans sa déchéance ? A quoi bon se sacrifier pour quelque chose sans valeur ? A quoi bon sauver une vie si elle en vaut bien une autre ou même ce morceau de tissu sale, ce fragment d'arme brisée ou pire cette rose fanée ? A quoi bon, enfin, l'écouter si, en réalité, tout se vaut, et donc tout est permis ? »

Pourtant, Salviati écoutait. Il faisait même plus que cela. Il suivait le moindre geste, s’engouffrait dans la moindre faille, saluait le moindre défaut, la moindre maladresse qui pouvait surgir dans l'image de l'initiée. Cette manie qu'il avait, celle de la fixer ainsi quand elle ouvrait sa bouche aussi bien que son cœur, quand sa passion s’assimilait presque a des spasmes nerveux, à des convulsions, quand dans ses yeux turquoises on lisait les prémices d'un embrasement ; Ces moments de crise là, il les attendait.
 
Cela faisait un peu moins de deux semaines depuis qu'il s'était réveillé dans ce lit, au coté de cette jeune femme dont il voit encore le visage le surplomber alors que ses yeux ne s'étaient pas encore adaptés à la luminosité. Durant cette période d'autres prières avaient été prononcées, d'étranges clameurs les avaient accompagnée et tout semblait s'accorder en une seule et même harmonie. Les vicaires et agapètes défilaient toujours dans la même ronde au centre de laquelle étaient déposés les fastes de la foi. On y buvait, chantait toujours avec le même enthousiasme les refrains dont le sens échappaient probablement à ceux qui les entonnaient. On disposait les mêmes artifices dans les cavités de marbres et un voile rouge conservait le mystère des rares murmures qui s'échappaient des fibres analgésiques tissant les liens de chacune des âmes qui semblaient festoyer. On banquetait ainsi à l'abri, à l'écart de ce qui rôdait dehors dans un silence glacial dont on se protégeait en s'étourdissant par des psaumes retentissant à l'infini en un flux d'éclats de voix.

Pour lui, dedans ou dehors, ce qui apportait le réconfort et ce qui l'exigeait, les incantations et les silences, l'apparat et la nudité  tout se confondait en une seule et même chose, une vapeur...
Il ne comprenait pas. Tout cela était pour lui sans teneur, sans rien. Il assistait à tout mais ne saisissait pas. Le temps passait et une main le pris. Encore une fois c'était elle, le sortant de sa confusion et le relevant d'un seul geste. En souriant elle révéla sa stupeur. C'est alors qu'elle ouvrit la bouche :

« Etiez-vous ici tout ce temps ? Dit-elle calmement sans attendre de réponse.
- Ici ? Où ? Demandant comme s'il venait de remarquer qu'il était perdu.
- Où crois-tu être? Répondu-t-elle toujours avec le même sourire voilé.
- Je suis... je l'ignore.
- De grandes colonnes s'alignant jusqu'à l'autel central, ces murs parsemés de vitraux et drapés pourpres, nos frères et sœurs à genoux... Ne voyez-vous pas ?
- Je... je regarde... et j'entends... Prononça t-il avec hésitation.
- Et ?
- Et... »

Salviati se tourna vers son visage. L'initiée eu un mouvement de recul. Sa robe était comme celle que portaient les autres prêtresses, simple, chaste, sans aucun ornement, seul la couleur, pourtant uniforme, s'insurgeait et jurait même avec ses pupilles azures qui s'interrogeaient. L'écarlate l'était vraiment, il semblait n'avoir souffert d'aucune corrosion, il flamboyait toujours, le rendant agressif au premier regard. Il omettait tout ce qui l'entourait et était en cela, pourtant, étrangement lénifiant. En dehors de cela elle ne portait rien, ses cheveux d'or ondulaient le long des ses épaules. En se redressant il l'a dépassait d'un bon pied mais, choses curieuse, elle semblait toujours le regarder de haut.

Quelques secondes passèrent, voire quelques minutes, ainsi, les deux se regardant, les deux en silence. L'un bouillonnait de questions mais n'osait, non, ne savait les formuler, tandis que l'autre attendait, ou du moins, semblait attendre, il ne pouvait en être sûr sans ajouter une autre douleur à celles qui faisaient son mutisme. Elle soupira :

« Si je vous ai posé cette question, Eugène, ce n'est pour vous torturer. Je le vois, parler vous fait souffrir, de même que penser, je le sens, mais... Regardez mieux, oubliez la douleur et observez. Ici, ceux pour qui vous êtes revenus et pour qui vous reviendrez, ceux que vous avez abandonné mais ceux pour qui vous vous battrez et trépasserez peut-être...  C'est ici qu'ils se tiennent.
- Je ne comprends pas...
- Ils se tiennent, ils demeurent et cela pendant... une éternité. Je parle de ce que la lumière nous offre, en plus de nous dévoiler à chacun. Je parle de ce qui nous fait être dans ce monde comme dans l'autre. Le fait que ne tenons seule mais aussi que nous tenons à. Ce que le temps nous fait comprendre  pour que nous élevions jusqu'au cloché de cette cathédrale et au-delà. Ces colonnes de pierre, nous devons être aussi tenaces qu'elles pour accomplir cela...
- Je ne vois pas le rapport avec... ceux-là. dit Salviati en désignant ceux qui priait autours d'eux.
- C'est la raison pour laquelle que je vous dit d’observer. Ils sont là depuis... certains depuis quelques heures, d'autres depuis l'aurore, d'autre encore depuis plusieurs jours...
- Comment ? Sans bouger ?
- C'est bien cela.
- Mais...
- C'est en prenant racine que le reste prend son sens. Personne ne peut, et ne doit, errer comme un mort-vivant. Ici, tout commence. C'est en ce lieu que nous tenons face au doute, que nous nous protégeons mutuellement car rien n'a de sens seul non plus.
- Seul... nous nous portons mieux.
- Mais nous n'apportons rien, répliqua-t-elle en un éclair. Le lien qui nous uni à l'autre nous relie également à l'ensemble, à l'Un.
- Nous... nous ne faisons que servir. Dit-il, résigné et amer.
- Non, nous donnons. Notre pouvoir appartient à nous seul, pas à moi, ni à vous. Ce que vous êtes en propre, c'est cela le vide, c'est cela le rien qui rôde toujours autours de vous mais que  vous fuyez !Là...
- Vous... vous parlez mais... moi, je n'ai pas besoin de me cacher derrière des mots pour être quelqu'un. Fit-il d'un ton presque fier.
- Tu n'as pas besoin d'être quelqu'un pour être !" cria-t-elle en suffoquant.

Des yeux se tournèrent vers eux. S’inclinant avec grâce elle lui fit signe, penchant légèrement la tête vers l'entrée béante de l'édifice. Ce n'était plus seulement sa robe, ni la flamme au milieu de celle-ci mais maintenant ses deux joues qui étaient écarlates. Ensemble, ils descendirent le parvis, firent quelques pas sans parler. Pourtant, cette fois-ci, le silence n'était plus absolu, quelque chose rythmait sa marche. Un souffle, court, fébrile, humilié... voilà ce qu'il écoutait à présent, il le berçait et cela seul comptait. Quand il s'arrêta, le monde entier s'écroula. Tout était de nouveau vide, absurde. Elle murmura :

"Il viendra un jours où... tu n'auras plus besoin de moi. Quand ce jours sera venu... elle se retourna. Tu... tu seras bientôt guéri, Eugène.
- Ce... ce n'est qu'une question de temps. poursuit-il avec une certaine agitation »

Elle acquiesça et se retourna. Il essaya de l'attraper mais ses doigts fuyant parvinrent à peine à l'effleurer. Elle poursuivi seule.

Salviati resta, quant à lui, immobile, à l'endroit où elle l'avait laissé. Ses questions toujours en suspens et les lèvres sèches. Il avait toujours mal. il le ressentait de manière plus saillante à présent. Allait-il vraiment guérir ? Il se le demandait autant que de ce dont il allait bien pouvoir guérir. Cela sonnait curieusement vrai maintenant, maintenant qu'il se tenait là car tout était figé. L'écho de ses doutes occultèrent ceux du glas qui sonnait maintenant :

«  Que... qu'a-t-elle dit ? Pourquoi est-elle... disparue ? » Il se mit à la chercher du regard, en vain. Puis quelque choses, comme un souvenir s’interposa entre lui et son absence. Il reprit la lettre, celle écrite par une main de femme, la relu, plusieurs fois... Enfin, la rose, maintenant complètement fanée, qui avait servi de jointure, se déroba comme si elle était passé au travers de lui. En se penchant pour la ramasser, il en vit d'autres, des roses partout, un jardin entier... il entendit deux femmes rire. L'une avait des cheveux de sang l'autre... il ne voyait plus. La vision s'obscurcit aussi vite qu'elle était advenue. Il repensa à elle en saisissant la fleure morte. Ses épines ne tranchait plus mais il la voyait encore. « Elle ne vaut plus rien maintenant, pas plus que les autres en tout cas... mais si... mais si elle disait vrai alors, ce rouge là, je peux le retrouver sur leur tabard, c'est peut-être même ce jardin entier, elle vaut bien cela et encore... peut-être est-ce même ce temple rouge et bruyant... et si elle est cela elle peut valoir encore mieux, un manoir, un royaume. Oui, c'est ça ! C'est rose vaut bien un royaume... »


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Message par Invité Mar 16 Mai - 5:35

On avait équitablement disposé les pendus dans les sous-bois environnant le monastère. Le pas traînant, comme pour profiter de leur dernier contact avec le sol, avait suivi tant bien que mal ceux qui avaient été condamnés. La sentence était toujours la même :

«  Par décret de la grande inquisitrice Blanchetête, vous avez été jugé agent du fléau et par cela rendu coupable d'hérésie, de tentative de corruption de la foi, de conspiration contre le haut pouvoir de L'Eglise de la lumière, de trahison envers le royaume et de crime contre l'humanité, vous avez été condamné à mourir par la potence. Souhaitez-vous confessez votre infamie ? ».

A cette dernière question les réponses pouvaient varier. Le premier qu'on avait accroché entre un panneau délabré qui indiquait ironiquement le route qu'allait emprunter leur promenade macabre, et un étendard de Lordearon en lambeau prophétisant l'avenir du malheureux, avait imploré la clémence du bourreau avant de gémir lorsque ce dernier s'approcha pour ôter le piédestal qui le maintenait en vie. Le second maudissait le monde entier et, se montrant cynique envers sa propre fin, ordonnait qu'on accélère sa mise à mort. On le pendit à la lisière des bois. Le troisième, enragé sans doutes par l'injustice dont il se jugeait lui-même victime, proférait des insultes et menaces impuissantes dont la trivialité eu le mérite de décrocher, en dépit de sa grâce, un sourire à quelques croisés présents. Il fut pendu aux abords d'un sentier menant au lac étincelant. Nombreux gardaient le silence, soit par choix car ils étaient, sans doutes, conscients de la vanité d'un potentiel discours, soit par simple incapacité à utiliser leur langue. En effet, il serait imprudent de penser que la pénitence promise aux agents du fléau se limiterait à la simple pendaison. On en suspendit trois autres non loin d'un avant-poste.

Le dernier à qui était dédiée cette escapade eu cependant un comportement des plus remarquables. Il n'apostropha aucun de ses témoins, il ne leur demanda rien. Il semblait comme parler à quelqu'un néanmoins, voire même fredonner quelque chose à l’intention d'une personne à qui il aurait promis quelque chose, une action qu'il n'aurait pas mené à son terme ou qu'il aurait oublié de faire. Salviati, qui avait été désigné pour intégrer cette expédition punitive, se remémora le vulgaire larcin qui lui avait tant coûté et, non sans un certain dégoût, leva les yeux pour regarder le visage du soliste. Il ne le reconnu pas. L'homme avait les joues creuses, le visage brûlé et les yeux mi-clos, ses cheveux bruns en bataille, gras et sales. Sa mâchoire peinait à s'ouvrir transformant ainsi son ultime volonté symphonique en parodie de mastication. La brièveté du son provoqué par le souffle coupé du pendu  se coupla harmonieusement avec l'ordre soudain de rompre les rangs. Leur devoir accompli ils s'acheminèrent vers la colline sur laquelle reposait le cloché qui dominait la vallée. Il avait consisté, mis à part rendre la justice, à faire passer un avertissement à ceux qui chercherait à infiltrer les rangs de l'organisation. Les corps, laissés pourrir, devaient témoigner de la réel vindicte de la foi, suspendus à des branches d'une végétation périssante à cause de la corruption latente d'un sol maudit . « C'est la terre entière qu'il faudrait pendre à compte là » songeait Salviati, de même qu'il aurait dû le pendre, lui, à la place de ce bougre. Il avait pensé aussi à se dénoncer, au dernier moment même si, et son choix n'avait pas été dicté par ce calcul, une telle révélation n'aurait sauvé personne.

Qui pouvait bien être cet homme, Eugène Royce ? Qui donc était-il, lui à présent ? Il le savait, ce dernier condamné, son identité n'avait pu être certifié. Il avait tenté de rejoindre le monastère sans porter son tabard, prétendant, d'après les rapports, l'avoir égaré en même temps que son chemin, parait-il. La lettre qu'il portait, une femme l'avait écrite cela allait de soi, du moins pour Salviati. Devait-il se comporter comme un mari, un père ? Cette pensée le terrifia, il la ruminait tandis que ses pas le ramenèrent à l'endroit où il avait pris connaissance de son présent patronyme. Il descendait vers le lac à la fois dans l'espoir de raviver sa mémoire à propos de l'homme à qui il avait volé l'existence même, mais aussi pour se laver les mains et le visage dans une eau différente de celle de ses acolytes. Quitte à le faire dans une eau impure, il avait besoin d'être seul.

La surface du bassin était nimbée d'une légère brume voilant l'îlot situé en son centre. Il régnait ici un silence apaisant en dépit du fait que résonnait inlassablement la dernière note, dans la tête de Salviati, du barde au cou brisé. Sa conscience ne pouvait pas le laisser en paix, elle était, hélas, toujours présente. Cherchant à reporter son attention sur ce qui l'entourait, il observait les lieux, faisant longer son regard sur le reste de la rive. Quelqu'un l'avait devancé, une basse silhouette se distinguait quelques mètres à sa droite. Approchant, il aperçut une personne agenouillée dans l'eau, occupée à frotter un morceau de tissu humide, sa longue chevelure blonde dissimulant son visage tout comme une bonne partie de son dos courbé. Elle l'entendit et se tourna vers lui. « C'est elle » se dit-il tout en constatant avec soulagement qu'elle était vêtue d'une légère tunique blanche.
Elle se leva, cachant avec ce qu'elle lavait, qui s’avéra être son tabard, la nudité de ses jambes dont seuls les tibias, souillés par la vase, se révélaient à Salviati.

"Oh ! C'est toi ! S'écria l'initiée.
- Oui... Pourquoi me tutoie-t-elle, il pensa, comme une...
- Je t'en prie inutile de te dissimuler le visage avec moi, tu n'as rien d'un monstre."

Il était, en effet, à présent toujours emmitouflé dans une sorte de foulard rouge dont il avait difficilement uni les tissus, en patchwork, ce qui lui donnait une apparence plus ou moins ridicule,  c'était en revanche toujours mieux que de montrer au jour ce qu'il masquait, selon lui. Pourtant, le rituel qui avait accueillit sa venue, n'avait pour ainsi dire que meurtri les parties inférieures de son enveloppe corporelle, sa physionomie avait relativement été épargnée. Du reste, seule sa joue gauche avait légèrement été brûlée au fer rouge frappé de l'héraldique de la croisade.

"Je pourrais en dire autant, lâcha-t-il méchamment.
- Comment ? La question sembla suscitée une incompréhension, elle inclina légèrement la tête, faisant mine de froncer les sourcils.
- Laissez tomber.
Il eu un silence. (---)
- Je ne savais pas que vous étiez autorisée à quitter votre cloître, surtout pour... ici.
- Je crois qu'il y a beaucoup de chose que tu ignores à propos de moi, tout comme à propos de toi, n'est-ce pas ? S'amusa-t-elle. N'aie crainte, je ne risque rien tant que j'ai ceci, elle montra par un petit geste le morceau de tissu rosi par l'humidité qu'elle tenait pour couvrir ses cuisses.
- D'autres n'ont pas eu cette chance, il dit cela comme pour l'accuser.
- Certains finissent la corde au coup, d'autres sur un lit de rose, d'autres encore n'en finissent jamais d'errer n'osant choisir leur fin cherchant à reculer en la voyant approcher. Qui nous sommes, c'est à la fin que nous le savons. L'identité à la don de nous enfermer sur nous-même, tu ne penses pas ? Une sorte de jeu solitaire qui ne fait rire et souffrir que nous, ou que moi, si tu veux.  Si on meurt, c'est pour une raison, je crois, et il faut regarder cela en face, lui rendre hommage pour que tout le monde s'y retrouve. Littéralement, c'est l'idée que je défend et, entre autres parmi un ensemble, je suis prête à mourir, peu importe la façon ou à cause de qui.
- Ce que vous dites... ça justifie tout, c'est horrible... il détourna les yeux de la jeune femme.
- Imaginons que nous sommes quelqu'un d'autre, par exemple que nous soyons un de ces nobles seigneurs enfermé dans leur donjon ne manquant de rien, ou encore, à l'opposé, un mendiant, libre mais affamée. Est-ce qu'il y a une différence notable dans le fait de mourir d'ennui ou de faim ? Ce n'est certes pas la même sensation, tu diras que je joue sur les mots, mais devant la mort, nous fuyons tous et à cela se battre pour manger, ou pour se divertir cela dénote un même besoin vitale. Non, ce qui nous intéresse, et je dis bien nous, l'humanité mortelle, ce sont les raisons, les choix, les...
- Celui qui crève d'ennui, il finira par crever les autres avec lui, juste pour ne pas avoir à le faire lui-même, l'interrompant dans une certain confusion.
- Il s'agit d'un appel essentiel, qui, même s'il est ici déformé, n'en demeure pas moins commun à nous tous, créatures. Le mendiant aussi, quelque part, il réclame de l'assistance, même de manière plus évidente.
- Deux d'entre eux se s’entre-dévoraient sans ce poser la question si votre seigneur, il se décidait à leur jeter un de ses restes, c'est vous qui ignorez tout.
- Tu juges la misère des pauvres gens comme le principe de leurs actes les plus terribles... c'est un premier pas, dans un certain sens. Ce n'est plus le vice pur maintenant, c'est la cause déterminante. Essaie maintenant de leur accordé un peu liberté et tout sera parfait, elle dit cela avec une once d'ironie qui heurta pleinement l'orgueil de Salviati.
- Que... ce n'est pas ce que je voulais dire... Ils, ça se passe juste comme ça. Qu'ils soient libres ou pas, je m'en moque, tout comme de cette conversation absurde, conclut-il.
- Un jeu de notre liberté, cette question là, « Qui suis-je ». Une mascarade, tout simplement mais qui révèle davantage sur le pourquoi de nos actions. C'est de cela dont je te parlais ; les raisons, ou si tu n'aime pas ce mot, les motivations, les impulsions et autre élan de la conscience que, je suis sûre, tu as déjà relevé. "

Il préféra ne rien répondre, se contentant de soupirer, agacé par la tournure que prenait cet entretien inattendu. Finalement, il se résolu à la fixer, intensément et entièrement. Il a dévisagea ainsi le temps qu'il pu, quelques instants, pas plus. Pour lui, c'était une torture qu'il s'infligeait. Il désirait qu'elle disparaisse, qu'elle le laisse en paix mais il voulait aussi, la suivre, la retenir, la contraindre à rester, l'emmener avec lui pour.. il ne savait pas exactement. Il voulait se libérer de cette posture de soumission, avoir un peu de pouvoir juste un temps, transgresser enfin les règles et se livrer aux pires démences. C'est cela qu'elle lui proposait, après tout, le regardant ainsi avec son air innocent, eh puis... Non, il ne fallait pas y penser, se retourner et oublier, arrêter tout simplement de respirer et elle s'effacerait d'elle-même. Elle reprit :

" Je sais que vous hésitez, Eugène. Je le vois encore très clairement, cependant, je dois avouer que je ne comprends pas entre quoi, vous hésitez.
Cela était très simple, à vrai dire. Il pouvait, essayer de l'écouter elle ou s'écouter lui. C'est sur ce seuil que cela tenait. Il n'y avait en fin de compte pas d'échappatoire. Il était condamné à choisir et donc à renoncer. Soit il la suivait, soit il s'en emparait et tout était fini. Il ne pouvait plus reculer, il s'avança.
- Vous vous êtes décidé ?
- Peut-être... elle le vouvoyait de nouveau, pourquoi ? Voulait-elle le tenir à distance avec des mots ou était-ce sa manière à elle de reculer devant l'inévitable ?
- Vous n'êtes pas obligé de choisir l'inverse de ce que vous ressentez. Après tout, nous pouvons ne faire qu'un, si nous adoptons un regard plus large, si nous considérons l'ensemble des choses, l'ensemble de la vie. Je suis peut-être plus pour vous que pour moi et vous, vous êtes de même... je vous dois beaucoup, enfin peut-être... toujours peut-être, avait-elle ajouté faiblement.

Il fit un pas de plus. Elle s’essouffla :

- Nous ne sommes pas seulement maître ou serviteur...Il y a autre chose, ce n'est pas qu'une tentation ou l'autre, c'est... il y autre chose. Les deux... il y a une forme... un fond...
Un autre, il ne l'écoutait plus, il avançait frénétiquement, comme possédé. Elle agonisait presque :
- J'ai foi en vous, Eugène... je saurai vous pardonner, je suis sûre...
- Il n' y a rien à savoir, marmonna-t-il, maintenant en face d'elle.
- Vous n’oublierez pas, vous ne m’oublierez pas ..."

Il s’effondra à ses genoux, une fois de plus, abattu.

Tombant, à la fois devant elle et en lui-même, il se sentait humilié. Il avait l'impression que le calme du lac, les bruissements discrets de l'eau se transformaient en rire. Il ne voulait pas que toute son existence se résume à cela, une simple farce. Il ne voulait pas perdre. Il tentait de se redresser, de lever la tête vers elle. Elle était partie, profitant de cet instant de faiblesse pour fuir le danger qu'il représentait. Quant à lui, ne s'apercevant que bien plus tard de sa disparition, il s'était mis à prier. Prier pour son retour.


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Message par Invité Dim 13 Aoû - 21:46

Confiné sur de la soie, il attendait, à l'endroit où il l'avait rencontrée pour la première fois. Couché sur le matelas laiteux d'un modeste lit de bois il s'agitait. Bien qu'il fut exténué par les nombreux travaux qu'on lui infligeait, il peinait à trouver le sommeil. Une semaine s'était écoulée depuis qu'elle s'était échappée. Il avait cru qu'elle était partie définitivement du monastère jusqu'à qu'il la surprenne dans le réfectoire alors qu'elle était entourée d'autres prêtresses se sustentant d'un infecte ragoût de viande bouillie. Leur regards s'étaient croisés, brièvement, honteusement. Maintenant, il se demandait à quoi son temps était dédié, à elle. Que faisait-elle quand lui pendait, torturait et broyait ? Il ne pouvait imaginer qu'elle manipule les même outils que lui, il avait eu du mal à comprendre le fait même qu'elle puisse manger. Se représenter son corps ensanglanté lui était impossible. Pourtant il l'avait bien retrouvé, elle aussi, dans cette eau verdâtre, à frotter on ne sait comment son tabard. Un magnifique prétexte pour s'essuyer les mains sur un héraldique prétendant que celles-ci le purifie. Un astuce bien connue de Salviati pour dissimuler ses propres fautes. Pour lui, chaque noms, titres ou grande organisations ne servaient qu'à cela, donner de la splendeur à nos plus bas instincts. Il pouvait même étendre cela à chacune des relations humaine. Après tout, la pitié, la miséricorde ne sont que des jouissances qui utilisent la détresse l'autre pour se réaliser. Ce serait peut-être la pire des bassesses, à y repenser. Le peu de refuge qu'on n'y retrouve, dans tout ça, en fait, ce n'est que de la lâcheté. On ne vit réellement que dans le refus de se délivrer de la souffrance. Si on le voulait vraiment, pourrait facilement avec une dague bien affûtée. De la ruse, ça. Juste par habitude, ignorance ou dans la plupart des cas par méchanceté. Tout cela n'est qu'un jeu bien cruel et gratuit.

Il pensait cela, allongé dans cette cavité obscure, à moitié souterraine, le monastère étant construit sur une colline et quelques galeries y avait été creusées et aménagées pour abriter un maximum de monde. Ce lieu qui avait jadis été bâti pour former les futurs serviteur de la lumière, avait dû se transformer en bastion pour réfugiés de la troisième guerre, par conséquent de nombreuses autres installations furent nécessaires. Les quelques salles latentes servent notamment au repos ou parfois à confiner ceux qui survivent à leur interrogatoires. Dans ce caveau, Salviati tentait d'agencer son esprit, il comptait bien la retrouver et la soumettre, cette fois-ci.

Avant tout, il fallait la retrouver. Salviati savait où se trouvait le couvent mais n'avait pas les moyens d'y accéder directement. La grade Inquisitrice était intransigeante à ce sujet, comme pour beaucoup d'autres. Seules les prêtresses y étaient admises, même la présence du haut commandement y était proscrite. Peut-être y cachait-on quelque chose ou peut-être était-ce parce qu'il n'y avait simplement rien ?  Quelque soit le mystère de cet endroit, Salviati s'en moquait car lui avait quelque chose à y découvrir.

Des douleurs de fatigue assaillirent ses membres quand il se leva. Imaginer la configuration qu'allait prendre les événements qui allaient suivre ainsi que les révélations qui s'y feraient, ne faisait pas partie de ses habitudes. Il était nécessaire pour agir de la faire dans l’instinct et de saisir au vol les opportunités qu'on lui présentait. Il ne dérogea pas à sa propre règle. Ses réflexions antécédentes avait eu pour rôle de forger son désir plutôt que d'équilibrer sa volonté. Néanmoins, malgré ce semblant de détermination il avançait traînant le poids de ses milles courbatures. Son ascension vers la surface était d'autant plus pénible qu'elle était accompagnée par l'écho de faibles cris et de quelques grattements suspects contre les parois des murs. Passant une première porte il arriva dans un couloir en pente ponctué à intervalles irréguliers par des marches censées assurer le pied. Bâti en zig-zag l'escalier ne descendait que jusqu'à une quinzaine de mètres mais il débouchait à six reprises sur des galeries plus étroites lesquelles abritant des activités méconnues de Salviati. Les quelques lumières orangées filtraient au travers des interstices de certaines ouvertures lui servait de repaires dans sa progression se déroulant pour l'instant dans l'obscurité.

Le tunnel débouchait sur un petit cloître excentré. Il était tard, la lune hâve n'éclairait pas les recoins et les allées les plus étroites. Même à son zénith, le soleil n'éclairait presque rien, des torches étaient constamment allumées par le verdâtre brouillard qui planait sur l'ensemble de cette région, du moins aussi loin que Salviati ait pu aller. Certains affirmaient que ce phénomène, de même que celui la dégénérescence du sol, était dû à une malédiction incombant au sang royal du père versé par la main de son propre fils, d'autres à celui des innombrables innocents sacrifiés à cette folie. Certains natifs pensaient, quant à eux, qu'il en avait toujours plus ou moins été ainsi. Ces derniers, dont la plupart étaient jadis des paysans, attribuaient comme cause à l'indigence des récoltes le manque d’ensoleillement, hypothèse qui avait le mérite d'écarter certaines superstitions à propos de la terre mais qui n'expliquait pas ce qu'il se passait plus haut. Cependant, le sentier semblait comme ignorer tout cela tant la végétation paraissait prospérer autours de celui-ci. Des plans de fenouils, de menthe et de sauge étaient disposés en face de feuillargent et de lys blanc. Il s'agissait, en effet, d'une simple jardin d'agrément, les plantes susnommées ne possédant que peu ou pas de propriétés alchimiques elles se limitent à servir de simples douceurs curatives.
Le silence régnait, personne n'avait apparemment jugé bon de  venir respirer l'air nocturne. Salviati se faufila au travers de l'embouchure, vers le cimeterre au-delà duquel se trouvait le couvent, au nord, juste avant la cathédrale. Animé comme par la promesse d'une récompense il enjambait les sépultures, piétinant parfois l'épitaphe de celles dépourvues de stèles. Il passa outre la vigilance de trois fossoyeurs, eux aussi vêtus de pourpre, occupés à deviser autours de la dépouille d'un bienheureux tombé pour la Cause qui, selon le calembour sarcastique d'un d'entre eux, fut également la cause d'une tombe. Peu à peu submergé, moins par l'odeur de pourriture que par  encore beaucoup trop de questions.

Elles concernaient les acteurs de ce monde, tout ceux qui jouaient et y avaient joué un rôle, des vers aux rois et du politicien à l'artisan en passant par la prostituée. L'adage populaire «  les vers finissent par manger les rois » en tête, il justifiait le cannibalisme intrinsèque à toute société au sens propre comme au figuré. L'idée était renforcée par la connexion entre tous les êtres et donnait un sens particulier à ce lien, la cosmophagie enfin révélée. «  Ce gars qu'ils vont brûler, qu'est-ce qu'il pouvait bien chercher ? A quoi il pouvait bien penser en s'engageant avec eux ? » Se demandait-il, persuadé que sa propre situation, identique pourtant à celle du mort si on omet l'état de décomposition, résultait d'une erreur de la providence. «  S'il ne savait pas alors c'est de sa faute, moi, je n'était même pas volontaire, lui si, aucun des choix que je fais n'est erroné, ils sont toujours justifiés » la faute incombant toujours aux ignorants car les autres savent où est leur intérêt. Le plaisir, cette sorte de gargouille riante, guide chacun d'entre nous au plus profond de son estomac et, asphyxiés et désœuvrés, la glue de l'ordre incontestable de la nature adhère à tout ce que nous sommes, nous nous confondons alors dans l'unique faim. Tous le servaient, tous savaient et tous acceptaient car il les nourrissait après tout, ils leur devaient bien ce silence. Quand ils l'ont emmenée, j'ai tout vu...

« Mais, celui-là, à quoi a-t-il bien pu servir ? » Peut-être avait-il chercher à fuir en espérant accomplir un quelconque devoir. Une nouvelle invention, enfin, pour détourner le regard devant l'horrible simplicité de la défaite. Rien est pire que l'irréversibilité, sans parler de la mort, la seule  vraie solution qu'on trouve souvent par erreur. « Qu'aurait-il fuit ? » si ce n'est la béance du monde dans laquelle dansent ensemble les contraires, où la raison se noie dans un gargouillis obscène. Perdu dans l'abstraction de ses tourments, il se retrouvait devant la porte du couvent. Il la défierait avec tout ses doutes et sans espoir, cette main tendu qui jamais ne saisit.

Ses mains tremblaient de colère lorsqu'il commença à se hisser sur le mur, passer par l'entrée principale se serait avéré inefficace. L'effort fut difficile, le manque de sommeil et les repas escamotés se firent sentir. Arrivé en haut il pu enfin contempler l'enceinte. Elle ne différait pas vraiment de ce qu'il avait connu jusqu'à maintenant, les allés étaient quasiment les mêmes bien que tout semblait réduit de son point de vue. Les ouvertures donnant sur le cloître descendaient vers des niveaux inférieurs tandis que le long chemin menant à la cathédrale s'élevait progressivement au dessus des toits. Il sauta au sol avec le but de s’engouffrer dans l'un de ces boyaux, celui qu'il jugea le moins éclairé. Après quelques pas il se retrouvait dans le cellier, une impasse à première vue bien qu'il était suffisamment vaste pour y installer une vingtaine d'étagères. En l'explorant un peu, Salviati trouva une trappe menant sans doutes vers une cave adjacente. Il l’ouvrit puis la referma aussitôt tant l'odeur de fermentation était forte. Agacé par le prosaïsme de cette découverte, il rebroussa chemin et pris l'autre couloir au travers duquel un halo lumineux était alimenté par les nombreuses torches qui ponctuaient l'espace entre les fines portes trouées par un judas extérieur. Ce dernier détails fut une aubaine pour Salviati bien que cela nécessitait une certaine discrétions pour ne pas alerter les prêtresses.

Ayant Regardé à travers tous  les interstices présents dans le couloir, il arriva à la conclusion que celle qu'il cherchait n'était pas ici. Ses yeux avaient certes du mal à percer l'obscurité des cellules mais il arrivait, notamment grâce au rayon qui apportait en semblant d'éclairage, à distinguer les silhouettes des corps allongés mais aucun d'entre eux ne correspondaient à la description de l'initiée convoitée. A certains moments la confusion s'envisageait et il s'attardait plus sur ces cas au risque d'être surpris pendant son analyse, d'ailleurs, le moindre bruit le faisait sursauter et stoppait nette son activité oculaire. Malheureusement, celui qui s'attend à trouver parmi les sœurs d'un couvent la femme qu'il recherche doit également s'attendre, et ce même si la providence est de son côté, à ce que son investigation soit agrémentée par de nombreuses tentatives infructueuses, car même si ces communautés sont majoritairement constituée de jeune fille aux rêves innocents, celles-ci sont souvent gérées par des vieillardes que rarement le sommeil visite et dont les pas hantent les halls lors des veillés sans fins.

En dépit du monde qu'il n'a jamais gratifié d'un sourire, la chance, elle, le fit. Il la trouva reposée sur son flan, endormie à même le sol, les cuisses enroulées dans un unique et léger drap blanc. Un cierge à la lumière duquel il l'avait reconnu, menaçait d'écouler sa cire brûlante sur l'avant bras de la jeune femme. Il se précipita pour ouvrir la porte qui s’avéra fermée à clef mais dont le verrou peu élaboré ne pu opposer une résistance digne de ce nom au crochet de Salviati. Un léger cliquetis se fit entendre. Elle s'éveilla en sursaut mais sa main s'appuyant sur le ruisseau incandescent la stupeur laissa vite place à la douleur, la vivacité des mouvement s'éteignant dans un glapissement aiguë.


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Message par Invité Mer 16 Aoû - 23:06

Elle posa sa main blanche sur son autre main brûlée et une faible lumière jaillit. Elle se leva s'enveloppant des genoux aux épaules avec son étoffe immaculée. Une légère inquiétude crispait son visage. Bien qu'elle cachait habituellement ses craintes, à ce moment elle ne pu le faire entièrement. L'incertitude la gagnait toujours face au danger. Il fallait qu'elle se souvienne, encore une fois et retrouver le courage d'affronter le mal. Pour cela, elle ne pouvait pas compter uniquement sur ses propres forces mais celle de tous. Le mal est faible, il saurait prévaloir car lui-même ne saurait subsister. Il se combat lui-même. Il est multiple car aucune de ses formes ne peut tenir face à la vérité qu'il ne pourra jamais endosser. S'il le fait il n'existe plus. Il est insaisissable, or cela est l'apanage des illusions et des mirages. Alors il sera de nouveau chassé car il est autant impuissant qu'il prend sa faiblesse pour une force dont lui seul est le maître. Voilà, maintenant, tout était de nouveau claire. Elle avait jadis fuit mais maintenant elle était apaisée, et elle devait l'apaiser à son tour. Elle souriait, le regardant dans les yeux, elle commença :

« Peut-être voudrais-tu t'asseoir, elle désigna un petit banc de pierre sur le côté, ce n'est pas grand chose mais il y a de la place pour deux.
- Nul besoin, je ne suis pas ici pour ça.
- Il doit rester un peu d'eau, as-tu soif ? enchaîna-t-elle en se déplaçant pour prendre une gourde et la tendre à Salviati.
- Je n'ai pas soif.
- Tu es un être humain pourtant.
- Ce n'est pas la question, protesta t-il sèchement.
- Alors quelle est-elle ?
- Quoi ?
- Ta question.
- Ce n'est rien.
- Tu ne t'es pas risqué à traversé le monastère de nuit, à entrer ici et crocheter ma serrure pour rien, dit-t-elle s'installant sur le banc.
- Peut-être, je pourrais vous surprendre, il tremblait.
- Eh bien, je t'écoute. »

Il n'osait pas soutenir son regard, ni le reporter sur les fragments de nudité dont elle avait noté l'effet destructeur sur son interlocuteur. Il résolu à fixer la gourde qu'elle avait placé à coté d'elle. Après un lourd silence, elle reprit : «  Tu es sûr de ne pas en vouloir, elle lui tendait de nouveau la gourde, tu ne cesses de la lorgner »

Il regarda ailleurs. Malgré cela elle n’eut pas de mal à percevoir que ses yeux céladons étaient au bord des larmes. Elle se demandait qu'elle était la meilleure méthode à employer. Elle pouvait chercher à le rassurer comme le ferait une mère mais les conséquences risquaient de la compromettre. Ou bien, elle pouvait se taire, attendre qu'il se confesse de lui-même. Cependant, elle sentait qu'il suffisait qu'elle le pousse juste un tout petit peu pour que tout s'écoule. Mais comment ? Peut-être cela serait-il trop intense ou violent. En délibérant trop longtemps, le choix se faisait tout seul. Elle prit le risque de la troisième voie.

«  Et moi qui m'attendait à être surprise... tenta-t-elle.
- Vous ne vous attentiez même pas à ce je vienne !fit-il brusquement. Et vous l'étiez, je vous ai vu !
- Je crois simplement avoir eu un réveil difficile. Un cauchemars sans doutes mais tu n'en faisais pas partie.
- Eh oui, vous rêviez d'autres monstres... il fixait le mur opposé. Je suppose qu'il n'y a pas que moi.
- Ni toi, ni moi, ni personne. Je rêvai que je perdais la foi.
- Il n'y pas pire, quel sacrilège ! ironisa-t-il faiblement. Je devrais sans doutes vous fouetter, si j'étais pieux comme vous l'êtes.
- Ou peut-être retiens-tu ton bras justement parce que tu l'es secrètement. Nous ne choisissons pas la tournure que prennent les choses, ni même celle que nous prenons. Tout dépend de tout...
- Mais rien de nous, coupa-t-il.
- Et bien peu exclusivement de nous, du moins si on ne compte que sur sa force propre.
- Comptons sur notre faiblesse alors. »
Il se moquait mais il avait peur. Peur d'agir, il voyait le mal partout et surtout en lui car tout revenait à lui, systématiquement. Il était comme prisonnier.
« Tu crois au destin. Affirma-t-elle.
- Non, une excuse qui justifie tout.
- Si tu y crois mais sans t'en rendre compte, ou alors tu mens, Eugène. Tu y crois, sauf pour toi. Peut-être que ça te rassure mais cela t'enfonce, et c'est bien pour cela que tu y crois. Cela donne un sens aux pires choses qui se sont passées pour toi. Tu te sens victime du destin, victime et témoin impuissant car tu n'entres pas dans ses hauts plans. Pourtant, tu te sens complice, mais cela, ce n'est pas de la faute du destin mais uniquement la tienne, n'est-ce pas ? Pour toi, il suffit de voir une chose horrible pour en être un peu l'auteur, pour lui donner du crédit ? Bien entendu, ça ne marche pas dans l'autre sens, pour les belles choses, ce serait trop facile, hum ? Tu es enfermé là-dedans, dans cette vision. Tu crois que tout ce qui s'y passé se passera toujours ainsi en oubliant, ce qui est hélas l'essentiel, que c'est toi, au moment où tu penses cela, l’émetteur de cette vision. Comme si ton œil assombrissait ce qu'il voyait ou qu'il était, encore mieux, l'unique perception vraie, que rien ne pourra changer cela. Eh bien, non. Tu ne perces aucun mystère en regardant de la sorte, tu vois seulement des ombres et le reste t''aveugle. Pourtant tu ne vois que parce qu'il y a de la lumière, qu'il y en a eu et qu'il y en aura encore. Alors oui, il se peut que tu ne te trompes pas mais c'est toujours par accident, car ce n'est même pas toi au final qui voit. Toute la lumière est filtrée et il ne reste que des abstractions, des choses lointaines. Je vais te révéler un secret d'ancienne aveugle. L'avenir est incertain, le passé l'est. Croire au destin, ce n'est pas une excuse, c'est simplement comprendre le temps comme une illusion. C'est oublier le passé en lui accordant le privilège de notre existence. Pour toi, tout est déjà passé. Il n'y a rien à faire. Alors vivre exclut mourir et naître n'est n'être que chair aussi loin que l'on puisse voir. Si tu veux être libre, comprends les choses comme autant d'ouverture vers une infinité d'autres et accepte de passer de l'une à l'autre. Tu connaîtras alors l'identité et la différence et tu comprendras ce qui est sacré comme Le même malgré les points vue changeant de ceux touchés par sa grâce. »

C'est elle qui fut la première emportée. « Qu'aurait-il pu comprendre dans ce flot d’inepties ? » se demandait-elle. Elle avait failli, la patience n'avait jamais été son fort. En fait, il partageait tous les deux la manie de dévorer les choses, de dévorer les mots. Elle devenait aussi confuse qu'il l'était tandis que lui s'était mis à la regarder fixement pendant qu'elle mugissait maladroitement son galimatias. Leur rôles s'étaient inversés, une opportunité pour lui d'étendre sa domination. Une idée s'imposa à lui. «  Ou alors quoi ? Il faut sans cesse changer d'avis ? Sans cesse se perdre pour se retrouver ? Ce n'est qu'une façon lâche d'avouer son ignorance pour finalement retourner à ses petites affaires. Tout ici indique que derrière vos beaux mots il n'y a rien que de l'ordinaire. Sous vos églises, il y a la terre, le royaume des asticots, mais surtout des antichambres où on pose également de nombreuses questions. Vos prières camouflent des désirs, vos vertus sont l’expression d'un orgueil démesuré et même à travers ce tissu je peux distinguer les formes de votre chair. »

Prononcer ces derniers mots l'avait frémir. Elle aussi. Elle se recroquevilla pour se couvrir tant bien que mal.

« Et si ce n'est que ça, continuait-il dans un élan frénétique, si vous ne combattiez le Fléau uniquement parce qu'il vous fait une offense... Il désacralise la chaire, il lui accorde sa vrai place. Celle d'un outil dépourvue de tout ce que vous lui avez attribués pour la rendre acceptable. Mais c'est une malédiction, vous comprenez ça au moins ! Est-ce que vous croyez que vénérer une telle corruption est un bien ? Est-ce moins cela que vous cherchez le bien ? cria-t-il.
- Je crois que nous somme liés par quelque chose de plus grand que ça...
- Foutaise ! Il n'y a rien d'autres ! Vous parliez de quelque chose qui restait le même mais s'ils nous touchent tous comment peut-il le rester ? Ça se corrompt sans cesse alors !
- C'est un don... Il donne la force et...
- D'où provient-elle, cette force alors ?
- De nous tous...
- Alors il n'y a rien d'autre que nous ! Et nous ne sommes rien d'autre que ça ! il la pointa du doigt comme pour l'accuser. Ce que vous proclamez sacré c'est cette corruption charnelle, tellement dégénérée qu'elle s'est elle-même érigée en culte. Vous ne vénérez que ce que vous désirez.
- Non... nous formons un tout. Ce n'est pas simplement la somme d'unités interchangeables. Nous sommes tous singuliers et...et...
- Nous sommes tous quelqu'un pour soi.
- Et oui, mais ce n'est pas anodin, ça. Ne penses-tu pas que même dans l'orgueil il y a un sens caché, une estime à avoir pour soi-même? elle le regardait de nouveaux, les deux se regardaient. N'avons-nous pas conscience intime de nous-même ?
- Une invention, ça...
- Une invention de qui alors ?
- Je ne sais pas, moi, un simple tour qu'on se joue à nous-même en espérant trompé les autres.
- Ton âme est tellement obscurcie que tu te contredis toi-même. Comment pourrions-nous se tromper s'il n'y pas de « nous ».
- Il faut bien s'exprimer d'un certaine façon, lâcha-t-il.
- Tu penses que je joue sur les mots ? Écoute, de la même façon que deux nombres s’additionnent tu penses que nous nous empilons les uns sur les autres. Que « nous » ne représente qu'une accumulation sans but. Mais les nombres son identiques par nature.Tu me dirais que nous somme tous composés de chaire et de sang mais en cela même nous somme différent, nous portons tous en nous l'inscription de notre singularité. On ne peut additionner un nombre et une lettre on ne peut superposer deux êtres distincts et prétendre que c'est la même chose. Les relations ne sont pas inscrites dans les essences. Nous pouvons apporter autre chose que notre corps à une armée, c'est en cela aussi que nous nous opposons au Fléau. Nous pouvons nous apporter autre chose que de la souffrance ou du plaisir. L'un n'est pas voué être dominé par l'autre. La reconnaissance du sacré apprends cela et pour commencer, aussi à te connaître toi-même et savoir quel est ton potentiel. Avant de croire savoir, il faut savoir croire. Nous sommes certes limités par notre corps, notre condition mortelle, mais en ayant la foi, ce n'est plus un obstacle. Croire en cela c'est donner une seconde chance à notre vie, c'est naître une seconde fois dans un monde où tout est maintenant changé.
- Une illusion nécessaire pour vivre, riposta-t-il.»

Elle se leva d'un bon, laissant tombé sa pudeur. Surpris, il détourna vite les yeux tout en les fermant. Elle avança vers lui, nue comme au premier jour, et après quelques pas, arracha le foulard pourpre lui couvrant la bas du visage. Une douleur anima de nouveau plaie ainsi stimulée. Il voulu se libérer en reculant mais ou même moment une chaleurs envahit sa peau au niveau de sa blessure. Il n'avait jamais rien senti de tel. C'est comme si sa peau s'était embrasé d'un seul coup. Tout son corps s'était détendu pour accueillir malgré lui cette effervescence.

Quand il rouvrit les yeux, elle était face à lui. Elle se détourna rapidement de lui regagnant son drap blanc. Cependant, il avait eu le temps d'observer dans les yeux de cette femme briller une étrange lueur fauve. Sa joue ne lui faisait plus mal. Il passa sa main dessus, elle n'avait jamais été plus lisse.

« Je n'aurai pas dû mais... vous deviez le voir. dit-elle en se couvrant.
- Mais comment ? Pourquoi ne l'avoir pas fait avant ?
- Vous deviez porter cette marque tant que vous serviez la croisade, pour montrer votre repentir. Je devais veiller à ce qu'elle ne cicatrise pas...
- Et maintenant ?
- Si on vous reconnaît, cette fois, ils vous tueront. Vous devez partir.
- Mais... ils sauront que c'est vous !
- Peut-être, rien n'est moins sûr.
- Il n'y avait que vous pour faire cela.
- Non, nous pouvons tous pardonner.
- Venez... partons.
- Je ne peux pas, dit-elle déterminée.»
Il voulu insister mais il se résigna, se rappelant pourquoi il était venu. Il l'a laissa donc, assise dans sa cellule, à attendre que quelqu'un vienne la prendre. Il s'apprêtait à ouvrir la porte.

« Il y a un passage qui mène dans la vallée en contre bas, prenez-le. Il suffit de descendre par les caves sous le cellier du couvent, où vous trouverez la trappe qui y mène. Ensuite, descendez l'échelle jusqu'au dernier sous-sol. A partir de là, il vous faudra ramper à travers une cavité menant vers l’extérieur. »

Il se retourna, voulu la remercier mais il n'y parvint pas. Elle était toujours blottie dans son linge. Un pas traînant se fit entendre au loin.

«  N'ayez crainte, je m'en sortirai peu importe ce qui m'attends. Ils ne peuvent me nuire sans se nuire à eux-même. Ils peuvent me chasser ou pire... ce n'est que temporaire, nous sommes tous mortelles après tout. Ce n'est qu'un passage qu'il nous faut tous entreprendre. Un jour, vous ferez peut-être le même choix, Eugène. Sans ce passage, nous ne sommes qu'abstractions et nos mots que des concepts. Adieu.»

Il suivit le chemin indiqué par l'initiée. Il s'enfuit du monastère sans encombre mais ne pris rien avec lui. Sa faim étant miraculeusement passée, il n'avait pas penser à faire un détour par les cuisines. C'est après quelques pas qu'il se rendit compte de son erreur. A présent il avait soif.

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